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Qu'est ce qui distingue un bon manager d'un mauvais manager ?

Carrière

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05.29.2024

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Michael Shanks : Qu'est ce qui distingue un bon manager d'un mauvais manager ?  

Cet article a été écrit par Michael Shanks, professeur d'éthique à l'EMD. C'est une synthèse d'idées développées dans un livre à paraître avant la fin de l'année intitulé "L'Effet -Vertu : une dynamique cachée du management".
Les auteurs ? JC GEORGES, PD-G d'ILEX Ascenseurs et M SHANKS, Professeur d'Ethique et Management à l'EMD.
Leur thèse ? Un dirigeant qui fonde sa stratégie sur les personnes et la pratique des vertus voit les résultats dépasser ses attentes. Les auteurs épinglent le managérialisme, qui met enfin de compte l'entreprise en péril.


Les théories éthiques contemporaines tendent à se concentrer soit trop étroitement sur les actions isolées pour savoir si elles autorisées ou pas, soit sur des principes à priori sur lesquels il n’y a pas de consensus. La situation ressemble à celle du paysan irlandais auquel un automobiliste demande le chemin le plus rapide pour Kilharney et qui répond. « Si c’est à Kilharney que vous voulez aller, vous avez intérêt à ne pas partir d’ici ».

Paradoxalement, il y avait une raison à sa folie. En effet, l'éthique prend tout son sens, si l’on part du bon endroit. Le point de départ que nous proposons, c’est la notion de pratique.

La dimension éthique retrouve dès lors la simplicité d’une condition ou d’un élément essentiel au bon fonctionnement d’une activité. C’est la raison pour laquelle le concept de « pratique » trouve une place centrale dans l’enseignement de l’éthique professionnelle à l’EMD. Mais la notion n’est forcément facile à saisir.

 Comment définir une pratique ? Le philosophe écossais, Alasdair MacIntyre la définit comme une activité cohérente qui a déjà sa place dans la société. Elle est normalement assez complexe, comme l’est un jeu de rugby par exemple, et exige une certaine coopération pour être menée à bon terme.  Quelques exemples ? Le rugby, justement ou le football, la construction navale ou aéronautique, la médecine. Lorsqu'une pratique fonctionne bien, elle suscite deux sortes de biens, des biens internes et des biens externes.  Les biens internes sont substantiels, partageables et découlent directement de la réalisation de l'activité.  Précisons, les biens sont « internes » ou « externes » par rapport à la pratique et non pas d’abord par rapport aux personnes. En tant que biens d’action, ils ne sont pas toujours faciles à répérer ; un ouvrier de base est souvent mieux placé pour reconnaitre les biens internes ou les biens d’excellence d’une pratique qu’un universitaire. Le praticien est le premier à consulter pour juger si le résultat ou le produit est bien ou non.


« (...) Les biens internes sont substantiels, partageables et découlent directement de la réalisation de l'activité. »

A manière d’exemple, les biens internes du football ne sont pas les mêmes que ceux de la chirurgie, mais dans les deux cas, les biens internes ne s’imposent pleinement que si le praticien recherche l'excellence dans son activité. Pour le chirurgien les biens qu'il recherche, c'est d'abord la guérison, de son patient et peut-être, s'il s'agit d'une intervention délicate, un perfectionnement de son adresse, de ses connaissances ou le fait d'avoir fait avancer la pratique de la chirurgie.  Voilà quelques biens internes incontestables de la médicine. Pour le footballer ce sera la joie de voir que les heures d'entraînement passés ensemble avec ses co-équipiers leur ont valu une complicité telle qu'ils passent la défense adverse comme dans du beurre. Leur stratégie servira peut-être de modèle pour d'autres équipes. Ainsi, on voit que les biens internes sont divers, variables et souvent imprévisibles d'une pratique à l'autre, mais ils expliquent pour ce type d'activité la demande sociale. 

 Dans les deux cas, pour devenir de vrais professionnels, le chirurgien et le sportif auront à "apprendre" à subordonner leurs désirs antérieurs à la poursuite et à la production de biens qui leur sont extérieurs, mais qui sont internes à la pratique sociale. Sans en avoir l’air, l’éthique est déjà présente. La poursuite de l’excellence dans la pratique sera éducatrice du désir, elle initie à l'éthique et permet de faire ressortir l'importance de l'engagement professionnel. Sans que l’on que l’on se rend compte, le perfectionnement de la pratique aura des effets insoupçonnés sur la qualité du produit et sur la qualité du producteur.

Les biens « externes » sont également le fruit d’une pratique, mais ils sont d'un autre ordre, ils ne sont pas spécifiques à une pratique ; ce sera des choses comme la récompense, l'argent, le pouvoir, la notoriété ou des possessions. Ils sont externes à toutes les pratiques.


«  La poursuite de l’excellence dans la pratique sera éducatrice du désir, elle initie à l'éthique et permet de faire ressortir l'importance de l'engagement professionnel. »


Une autre distinction va se révéler utile pour assurer que nos organisations continuent de servir le bien commun, et c’est la distinction institution/pratique. 

Un hôpital n'est pas une pratique, c'est une structure avec ses règles formelles et qui héberge différentes pratiques médicales.  Le club de football n'est pas une pratique, mais un cadre qui abrite le beau jeu. Le binôme institution/pratique est utile en ce qu'il permet de perpétuer les pratiques et en même temps d'hiérarchiser les rôles. Le manager de l'institution (hôpital, club de foot, entreprise) devra gérer les finances, coordonner les activités, assurer des revenus et des attributions, bref s'occuper des biens externes, pour assurer la continuité de sa pratique. Mais il est au service de la pratique.


«  Le manager de l'institution (...) est au service de la pratique. »


Sans institution, toute pratique s’étiole et finit par disparaître. Avec un cadre établi, la pratique se stabilise et évolue. Les vertus, lorsqu’elles sont présentes, sont à la fois la condition et le fruit d’une patiente culture de la pratique. Dans la mesure, d'ailleurs, où il aura à cœur de favoriser et pérenniser son activité, le responsable verra que son rôle de manager même revêt les allures d'une pratique, de par sa complexité, sa cohérence sociale et son besoin de coopération. 

Soit maintenant deux institutions qui abritent la même pratique, les avionneurs Airbus et Boeing. Une publicité récente sur Internet annonce : "Airbus embauche". Jusqu'à 25,000 recrutements prévus en 2024 dans la filière aéronautique, car quand Airbus déclare qu'il veut produire 75 A320neo par mois en 2026, ce sont des centaines d'entreprises à travers la France qui se réjouissent.  Un titre du Figaro du 10 mai 2024 en dit long. « Boeing : trois incidents en trois jours »

Un train d’atterrissage défectueux, un avion dérouté, une sortie de piste au décollage, trois incidents qui montrent que la série noire chez Boeing bat son plein. Le dernier accident, n’a fait que 11 blessés dont 4 graves. Peu de choses en comparaison des 346 morts des deux crashes de 2017/2018. Retards de livraison, fournisseurs négligents, des lanceurs d’alertes signalent de gros problèmes dans les ateliers de Boeing et de ses fournisseurs. Des fixations manquantes, parfois des pièces manquantes…. On apprend que pour chaque commande d’un avion chez Boeing il y a six chez Airbus.

Notre thèse, le succès d'Airbus provient du fait qu'il a été fidèle à la recherche de l’excellence dans sa pratique d'avionneur (il a développé les biens internes de la pratique) alors que Boeing a adopté une idéologie qui lui servait de prétexte pour négliger ces biens internes et estimer que le rôle du management était de maximiser les biens externes. On a peu l'habitude de penser que le monde de l’industrie puisse être dirigée par une idéologie ; les dirigeants ne sont-ils pas des hommes réalistes, pragmatiques, incapables de se faire piéger par des miroirs aux alouettes. Hélas l'actualité montre que ce n’est pas le cas. Les dirigeants se sont faits piégés.

Quels sont ces biens d’excellence qu’Airbus a su intégrer à sa pratique ? Sans être exhaustif, nommons trois : FBW[1], FEP[2] et Cockpit Commonality[3]. C’est-à-dire une interface électronique de commande pour remplacer l’ancien système de commande mécanique, un pilote semi-automatique pour renforcer la sécurité et enfin une configuration homogène des cockpits sur tous ses appareils qui facilite la formation des pilotes. 

Introduits dès 1987 ces innovations ont connues des améliorations constantes ce qui prouve que la matrice du design était très bien conçue. Airbus a pensé long dès le départ. Exemple remarquable de sagesse pratique (phronesis). Il serait possible de signaler d’autres excellences - dans la pratique d’Airbus en marketing, par exemple, mais la place nous manque. Bref la direction d’Airbus ne quitte pas des yeux son ouvrage.

Et Boeing ? Un ancien journaliste du Wall Street Journal, Andy Pasztor qui a couvert l'industrie aéronautique pendant 30 ans révèle que les manquements de Boeing en matière de fabrication et d'éthique remontent à plusieurs décennies. Pasztor donne l'impression que les négligences de fabrication et les entorses à l'éthique sont deux choses différentes. Pour nous ce ne sont pas deux choses différentes. La vertu qui est instinct du meilleur se voit dans la quête de l'excellence dans la pratique,

Une caste qui estime que ce qui est bon pour eux, est bon pour Boeing. Ce qui fait monter le cours en Bourse est bon pour Boeing. Cette caste, armée d’une panoplie de techniques, de métriques, se sont ingéniés pendant 20 ans à faire remonter le cours. Et ils sont réussi au-delà de leurs attentes. Quelques jours avant la deuxième accident le titre valait $440. Depuis c’était un RONA élevé, un maximum d’externalisations, rachat des actions pour valoriser les titres qui restent. un cours en Bourse élevé

Le problème du managérialisme, c'est qu'il débouche souvent, sinon toujours, sur des situations où le choix d’une solution, quel qu'il soit, sera mauvais. McAllister et Muilenburg se trouvent face à un douloureux dilemme : clouer les avions au sol et perdre beaucoup d’argent ou les maintenir en vol et risquer de perdre des vies. Or, le managérialisme vous dit que ses finalités sont indiscutables. Ce faisant, il vous transforme en agneaux ou en loups, sauf que votre identité est "évolutive". Vous pouvez vous métamorphoser. L'agneau d’aujourd'hui évolue en loup demain. C'est ce qui est arrivé à McAllister, Muilenburg et Calhoun. Le managérialisme endort la conscience, rend soumis et fait de vous le loup involontaire pour les employés et pour les passagers de Boeing. La course à l’économie - qui concerne l’ensemble de l’industrie - sert de prétexte chez Boeing à arrondir les angles, à « bâcler proprement » plutôt que de travailler bien.


« Dieu pardonne toujours, les hommes parfois, l’aéronautique jamais »


Les choix antérieurs en faveur de la Bourse et au détriment de l’innovation arrivent désormais à maturité. Entre 2014 et 2018 Boeing distribue $53 milliards en dividendes et en rachats d’action. De quoi financer au moins trois prototypes. Le managérialisme n’a pas besoin de fraude ni d'escroquerie pour se mettre en place ; tout se déroule apparemment au grand jour. Mais ses erreurs – négligence des biens internes pour des bénéfices à court terme, réductions de coûts en série, raccourcis dans la gestion de la complexité réelle des situations, manque de vérité dans les communications, coopération étroite rendue impossible - présentent aujourd'hui leur facture.

L’industrie aéronautique est malheureusement une industrie où le « bâcler proprement » est interdit. Paraphrasant le proverbe on dirait « Dieu pardonne toujours, les hommes parfois, l’aéronautique jamais ». Boeing a préféré l’enveloppe à la lettre

 

[1] Fly By Wire

[2] Flight Envelope Protection

[3] Configuration homogène des Cockpits




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